
La plupart des personnes avec qui je parle sur l’aide médicale à mourir (AMM), ou dont je lis les écrits, finissent par mentionner l’absence presque complète de rituels pour accompagner ce passage vers la mort. Comme si nous demeurions emprisonnés dans le cycle « vie – mort » plutôt que d’être libres dans celui de « vie – mort – vie ». Or, c’est exactement ce que permet un rituel : marquer symboliquement un passage, un état, un changement sans s’y enfermer.
L’article publié récemment (fin mars 2025) par ma blonde Claudine Papin, dans la revue Spiritualitésanté, offre avec humilité un exemple d’un rituel réalisé lorsque son frère a reçu l’AMM. Je dis « avec humilité » parce que ce récit ne veut surtout pas se présenter comme un modèle. Car, avouons-le, depuis que le Québec s’est libéré de son asservissement au pouvoir de l’Église catholique romaine, depuis la Révolution tranquille, nous avons perdu nos principaux repères en matière de sens spirituel.
« Ce n’est pas facile, reconnaît Claudine Papin, de ritualiser les changements d’état ou de statut dans notre société post-moderne coupée de la sagesse, du sacré, de la transcendance et en exil des traditions qui marquaient les passages importants de la vie. En tant que citoyen ou comme membres d’une famille, nous n’avons pas été initiés et nous n’avons pas appris à mener des rituels. »
C’est pourquoi nous assistons de plus en plus à des tentatives de donner du sens en ritualisant les passages importants comme la naissance, la fin de l’enfance, l’entrée dans l’âge adulte, le mariage, la retraite. Parfois avec bonheur, d’autres fois moins. Nous sommes en apprentissage!
Or, dit Claudine Papin, le rituel « apparaît davantage comme un contenant que comme un contenu. Il peut permettre une expérience spirituelle ou existentielle significative, à la fois personnelle et universelle pour toutes les personnes le vivant. »
Un « contenant » plutôt qu’un « contenu ». Un rituel est donc une sorte de bol qui reçoit nos émotions, nos croyances, nos désirs, notre souffrance, notre joie pour les transformer en une nourriture qui nous permet de digérer le moment intense que nous vivons. Le rituel est lui-même à faible teneur de croyance, si ce n’est la foi en sa capacité de nous aider à traverser un passage important, un deuil, par exemple.
« J’ai pu observer, continue-t-elle, que l’administration de l’AMM est surtout un enchainement de gestes techniques malgré la bienveillance des soignants présents. La ritualisation du passage (vie-mort-vie) nous a permis une forme d’achèvement, une opportunité de nous rendre compte que quelque chose est aussi en train de mourir en nous et du même coup, de continuer à vivre autrement. Le rituel devient un chemin narratif. Il recèle une histoire commune significative qui va influencer la traversée de nos deuils. À nos souvenirs d’incompréhension et d’impuissance, devant la douleur et la souffrance de Jean-Pierre, peuvent se superposer les images et les temps forts du rituel. »
Nous sommes donc en apprentissage de nouveaux rituels. Je vous invite à lire ce touchant récit d’un rituel d’AMM (ici) qui montre qu’« il est possible de créer des évènements à échelle humaine, de marquer les grandes transitions en sortant du temps et de l’espace ordinaire, du type de relation ordinaire. En se rassemblant avec profondeur et simplicité. Malgré l’impuissance ou l’ignorance, en remettant en scène ce qui peut être significatif pour le groupe concerné. En faisant confiance à la dimension symbolique, ludique, poétique et sensible de l’existence. Car dire un grand oui à ce qui nous fait vivre peut aider l’autre à mourir. »
Et puisque le sujet vous intéresse, jetez un coup d’œil aux autres articles de cet excellent numéro de Spiritualitésanté consacré aux rituels de fin de vie en milieu de santé.
Et revenez ici ensuite pour nous faire part de vos commentaires.

C'est une des rares réflexions sur l'AMM qui m'ait autant bouleversée - d'ailleurs, dans tous les débats sur l'AMM, qui a pensé à ceux qui restent et qui ne savent que faire de leur peine ? Je crois qu'avec vos réflexions, j'ai trouvé la pépite,
Diane Parent