Après dix ans d’aide médicale à mourir (AMM) au Québec, de plus en plus de gens pensent que l’AMM est la seule façon de mourir dans la dignité, alors que d’autres soins de fin de vie existent. Avec la demande anticipée maintenant possible, il y aura encore plus de confusion. La seule façon de faire le bon choix est d’en discuter ouvertement avec nos proches et surtout avec le personnel médical.
C’est ce qui ressort de la conférence Dix années d’aide médicale à mourir au Québec : où en sommes-nous ?[1] tenue à l’Université Laval le 7 mai dernier devant 200 personnes et organisée par la coopérative funéraire des Deux Rives dans le cadre de sa série Entretien sur la mort.
Les deux conférenciers invités, l’anthropologue et chercheuse Ariane Plaisance et le conseiller en éthique au CHU de Québec Hugues Vaillancourt, ont été très clairs sur ce sujet. Selon une recherche menée au Québec ces dernières années, 27 % des 946 répondants ont confondu avec l’AMM un autre soin de fin de vie, le refus de soins avec l’introduction de soins palliatifs, alors que 39 % ont fait la même erreur pour un autre soin de fin de vie, la sédation palliative continue. Dans une autre recherche menée dans tout le Canada, seulement 12 % des 2140 répondants ont répondu correctement à quatre des cinq questions sur la loi canadienne sur l’AMM.


Mandat de protection et DMA
Ceux et celles qui ont un mandat de protection, par exemple contre l’acharnement thérapeutique, même notarié, croient également à tort être protégés selon les conférenciers. Les papiers de ce genre « ne sont pas des ordres pour le personnel médical, c’est au mieux des guides pour les mandataires et, surtout, de bons moyens pour commencer le dialogue avec votre médecin et examiner toutes les options qui s’offrent dans la situation », affirme Ariane Plaisance, qui possède un doctorat en santé communautaire.
Ce qui n’aide pas, ai-je compris lors de cette conférence, c’est qu’il n’y a pas de dossier médical unique au Québec pour chaque bénéficiaire. Le projet d’un tel outil, qui concentrerait au même endroit toutes nos informations médicales, est en marche, mais pour l’instant j’ai autant de dossiers que de médecins qui m’ont traité et que d’hôpitaux où je l’ai été.
Comme le mandat de protection mentionné plus haut, le formulaire de Directives médicales anticipées (DMA), pour consentir ou refuser à l’avance cinq soins précis, bien que signé et expédié en bonne et due forme à la RAMQ, n’est donc pas une garantie lui non plus. « Aimez-vous mieux que le médecin parte à la recherche de votre formulaire pendant quelques jours ou qu’il vous parle, à vous et à vos proches, pour comprendre ce que vous voulez et vous expliquer votre situation ? », a résumé Ariane Plaisance.
Deux environnements légaux
Pour compliquer les choses, le Québec, selon les conférenciers, est l’une des rares législations au monde avec deux encadrements légaux simultanés, la loi québécoise et la loi canadienne. Deux situations problématiques en résultent. La loi canadienne acceptera en mars 2027 comme admissibles à l’AMM les personnes dont le seul problème est un trouble mental alors que la loi québécoise exclut formellement cette possibilité depuis 2023. Ensuite, l’administration de l’AMM à la suite d’une demande anticipée est toujours interdite par le code criminel, ce qui rend passible de poursuites au criminel le personnel médical. Celui-ci a cependant reçu l’assurance du gouvernement du Québec, dont le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) est le seul à pouvoir amorcer une telle poursuite, qu’il n’y en aurait pas. Mai un nouveau gouvernement pourrait décider le contraire. Pour sa part, le gouvernement canadien a lancé une consultation sur ce sujet en décembre 2024 qui a pris fin le 14 février 2025 et le rapport est toujours attendu.
L’AMM : une astuce politique
Saviez-vous que le terme « aide médicale à mourir » a été délibérément adopté par le gouvernement du Québec pour amener cette intervention médicale dans le champ des compétences provinciales et ne pas la laisser exclusivement dans le champ fédéral avec son code criminel ? C’est ce que nous ont appris les deux conférenciers. En traitant l’AMM comme un soin et non comme une assistance au suicide ou une euthanasie, le Québec a utilisé cette astuce sans laquelle il n’aurait pas pu agir dans ce domaine. Un an plus tard, le Canada a lui aussi utilisé le terme AMM pour sa propre loi, mais en ajoutant le mot « autoadministrée », ce qui ajoute à la confusion.
AMM anticipée et interprétation
Comme l’AMM par demande anticipée s’applique à une situation à venir, il est fort probable que la confusion sera encore plus grande dans quelques années. En effet, selon le spécialiste en éthique clinique Hugues Vaillancourt, « comme c’est en prévision d’une situation d’inaptitude détaillée dans le formulaire de la demande, et comme c’est une loi qu’on essaie d’appliquer à tout le monde, on va avoir différentes interprétations du formulaire et de la loi. On se questionne sur la façon dont ce sera mis en œuvre ».
Les deux conférenciers ont rappelé l’importance d’introduire un tiers de confiance dans la démarche de demande anticipée pour la faire valoir le moment venu quelques années plus tard. « Ce n’est pas parce que vous avez fait une demande anticipée qu’elle va être écrite dans votre front ! », a déclaré Ariane Plaisance.
S’informer et en parler
Face à cette confusion générale, les deux chercheurs recommandent de mieux s’informer sur la fin de vie et sur la mort pendant qu’il est encore temps. Mieux connaître les types de soins de maintien de la vie et de fin de vie, leur nature, leurs risques et bénéfices. Mieux s’informer aussi sur la planification anticipée des soins.
Une bonne façon d’augmenter notre niveau de connaissance est, selon eux, de faire du bénévolat auprès de personnes en fin de vie, d’accompagner nos proches en fin de vie et de connaître nos droits en tant que patients.
[1]- L’enregistrement vidéo de la conférence se trouve à https://www.youtube.com/watch?v=_bnRnpaB010. Il est possible de suivre en même temps la transcription faite par l’intelligence artificielle en cliquant sur le mot « plus » sous le nombre de visionnements, puis sur le bouton « Afficher la transcription ».

