En voyant aller Donald Trump et sa clique depuis le 20 janvier, plusieurs m’ont dit « Je ne pensais pas vivre une telle inquiétude de mon vivant ! » En effet, au-delà de la stratégie de confusion envahissante et chaotique utilisée par Trump, la bonne nouvelle est que les intellectuels sont de retour ! Jamais autant de livres et d’articles n’ont été publiés pour nous aider à comprendre le changement en marche du monde économique et politique dans lequel nous vivions avec une certaine insouciance, avouons-le ! Voici donc quelques-uns de ces textes et je vous invite à ajouter ceux que vous trouvez pertinents pour nous aider à comprendre et à adopter notre posture personnelle.
1- Pour ne pas sombrer dans le découragement
Lorsque le découragement m’envahit, je relis l’un de ces textes :
Cette lettre de Gabriel Nadeau-Dubois, lors de l'annonce de sa démission de Québec Solidaire, le 20 mars 2025 « « L’histoire du Québec nous enseigne que c’est difficile de
changer les choses et que les accomplissements adviennent lentement, mais que beaucoup devient possible avec de l’espoir et de la détermination. Je vais quitter la politique, mais c’est ça mon message le plus important aujourd’hui, en particulier aux gens de ma génération avec qui je marche depuis 15 ans : un jour, ensemble, on va changer le Québec. »
Cet extrait d’une lettre de Bernie Sanders Ce que l’histoire nous a toujours appris, c’est que le véritable changement n’a jamais lieu du haut en bas. Ça arrive toujours du bas en haut. Cela arrive quand les gens ordinaires en haut marre de la pression et de l’injustice – ils se battent. C’est l’histoire de la fondation de notre nation, du mouvement abolitionnistes, du mouvement ouvrier, du mouvement des droits civiques...
Cet article de Josée Blanchette Ça se peut que toute — Fragments de résistance (La résistance est un refus de céder au découragement, JEAN-PAUL SARTRE, LES MAINS SALES)
Cet article d’Émilie Nicolas Sur l’héroïsme L’histoire fourmille de héros et héroïnes qui ont pris des risques pour résister, « comme d’innombrables femmes partout dans le monde et à travers les âges ont appris à survivre à un intimidateur dont elles sont dépendantes financièrement (…) L’adversité teste le caractère ; la violence politique et les systèmes d’oppression nous révèlent qui nous sommes (… le) peuple haïtien, qui s’est levé face à Napoléon Bonaparte pour dire “la liberté ou la mort”. Les Haïtiens connaissent le prix de la dignité (…) On voit un phénomène similaire à l’œuvre chez les Palestiniens qui refusent de quitter Gaza malgré les bombes, ou chez le peuple ukrainien qui tient tête à l’envahisseur russe (…) on remarque la même obstination chez les peuples autochtones (… chez) chaque personne queer qui a osé s’afficher exactement comme elle est dans des environnements hostiles (…) On dit souvent que nous protégeons la langue française, mais je sens que c’est aussi la langue française qui nous protège. En s’obstinant dans sa différence, le Québec s’est développé autrement qu’en une économie de succursales américaines. J’ai l’impression, en observant le reste du pays, que nos compatriotes sont sur le point de découvrir un exercice politique proche de la Révolution tranquille. Et, puisqu’il est question de résister à l’américanisation, que nous avons beaucoup à leur apprendre ».

Cette pensée de Christiane Singer sur notre peur que nous devons congédier La peur est la plus grande créatrice de réalités qui existe. Ce dont nous avons peur, nous le créons presque irrémédiablement. C’est quelque chose d’effarant. Vous avez dû le remarquer dans votre vie. La peur a le pouvoir d’engendrer images et réalités. Dans l’univers d’épouvante dans lequel nous vivons, tout tient par la peur. Il faut y répondre en congédiant en nous la peur, en reprenant contact avec ce noyau infracassable qui nous habite.
Comment maintenir notre résilience en ces temps de turbulence ? La psychologue Pascale Brillon suggère des moyens simples pour augmenter notre « résilience cognitive, émotionnelle et physique » en ces temps qui deviennent anxiogènes si nous nous laissons balloter par les informations qui ne font que donner de la force au discours intimidateur de Trump.
2- Pour comprendre
La société de provocation Trump et Musk ont été qualifiés de « psycho-pathes » ou d’« autistes », réduisant leurs actions à des diagnostics psychiatriques. Mais cette psychologisation passe à côté de l’essentiel : ils ne sont pas des anomalies, mais les expressions les plus cohérentes d’un système économique fondé sur l’accumulation prédatrice et l’exaltation de la violence. Ils incarnent le stade suprême de la société de provocation, où la glorification de l’excès et de la haine se déroulent dans un renoncement quasi généralisé, comme si le spectacle de leurs outrances avait anesthésié toute velléité d’opposition.

Le pouvoir nu, article d’Émilie Nicolas dans Le Devoir, qui fait un lien très intéressant entre ce qui se passe aux USA et la reprise des bombardements sur Gaza le 18 mars 2025 : « “La faiblesse fondamentale de la civilisation occidentale, c’est l’empathie”, ajoute Musk. Même s’il est important de “penser aux autres”, Musk croit que l’empathie peut détruire la société. Pour moi, la phrase est clé parce que l’empathie est l’un des thèmes qui revient le plus souvent dans les écrits des intellectuels qui ont tenté d’analyser les basculements vers le fascisme, le nazisme et les autoritarismes destructeurs du XX siècle. »
Alea jacta est, texte de Josée Blanchette bourré de références sur des prédictions de ce qui s’en venait, par exemple : « Il suffit de lire Noam Chomsky entre les lignes (et avec les points sur les i) pour comprendre qu’il ne se fait pas d’illusions sur la “démocratie” implantée aux États-Unis, échafaudée sur l’esclavage d’un côté et l’extermination des Autochtones de l’autre. Une démocratie qui a toujours eu beaucoup de sang sur les mains et qui s’est imposée (et s’impose encore si quelqu’un en doutait) comme la loi du plus fort. »
L’ère du techno-fascisme « Le mouvement Make America Great Again (MAGA) et ses liens avec la Silicon Valley ont fait naître le “techno-fascisme”. Cette expression peut paraître rigolote ou exagérée, mais elle n’a jamais été aussi près de la réalité. »
Le droit divin dans la destinée des USA Les États-Unis comme nation dotée d’un droit divin à étendre son territoire : « en invoquant la « destinée manifeste » dans son discours d’investiture, Donald Trump a repris un concept impérialiste du XIX siècle ».
Rôle d’Elon Musk « “Il commence [son rôle] avec d’énormes conflits d’intérêts, qui doivent absolument être examinés”, a déclaré le représentant démocrate de Virginie Gerry Connolly, qui siège à la puissante Commission de surveillance de la Chambre des représentants. “Nous avons un problème avec cet oligarque américain émergent, qui n’a aucune légitimité. Le peuple américain ne l’a pas choisi ; il ne s’est pas présenté aux élections ; il n’a pas non plus été nommé.” ».
Les pesos de Jeff Bezos : boycotter Amazone, geste inutile ? Le livre « Les routes de la liberté », de l’économiste américain Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie, explique comment des marchés sans entraves sont en train d’emporter nos libertés.
De la bullshit Dès que Donald Trump parle ou écrit sur son réseau social, « on est saisis tout à la fois par un sentiment d’incrédulité, une sensation de sidération et une folle envie de rire. (…) La meilleure façon de caractériser tous ces discours trumpiens paraît être de les qualifier de “bullshit”, ce mot argotique courant en anglais et auquel le philosophe Harry Gordon Frankfurt a consacré en 1986 un bref et incisif essai, On Bullshit (traduit en 2017 en français sous le titre De l’art de dire des conneries). »
Bien connaître Poutine « Dans Les aveuglés (Folio, 2024, 400 pages), un captivant mais troublant grand reportage de Sylvie Kauffmann, journaliste au Monde, on redécouvre avec ahurissement la complaisance dont ont fait preuve l’Allemagne et la France (ainsi que la Grande-Bretagne) à l’égard de l’autocrate russe pendant des années. (...) Je ne vois pas comment, après les événements récents et après la lecture de ce lumineux reportage, on peut encore penser que Poutine a peut-être raison. L’extrême droite et les dictateurs de partout l’adorent. Le message pour les démocrates est clair. »

Censure américaine et antiwokisme En date du 27 mars 2025, plus de 250 mots auraient été bannis de toute référence publique par le gouvernement américain. Des « mots que l’on retire systématiquement des sites Web du gouvernement fédéral américain, mais aussi (des) mots qui déclenchent automatiquement une enquête bureaucratique s’ils sont employés dans des demandes de subventions destinées à ce dernier. (...) C’était écrit dans le ciel que l’obsession pour les wokes et le wokisme manufacturés de toutes pièces par Fox News et les autres grands médias de la droite républicaine visait le rétrécissement des libertés d’expression, d’association et universitaire ». Ce lien avec le wokisme est discutable, mais l’intérêt de ce texte est dans la dernière phrase : « Au fond, la seule question qui importe vraiment, c’est : qu’est-ce qu’on est en train d’apprendre de tout cela ? »
Le monde d’hier Rédigé en 1941 au Brésil où le triomphe du nazisme en Autriche a contraint Stefan Zweig à émigrer, Le Monde d'hier est cité à répétition dans les analyses de ce qui se passe présentement aux États-Unis. Un incontournable!
Il raconte une perte : celle d'un monde de sécurité et de stabilité apparentes, où chaque chose avait sa place dans un ordre culturel, politique et social qui nourrissait l'illusion de l'éternité. Un monde austro-hongrois et une ville sans égale, Vienne, qu'engloutira le cataclysme de 1914. Dans ce qui est l'un des plus grands livres-témoignages sur l'évolution de l'Europe de 1895 à 1941, Zweig retrace dans un va-et-vient constant la vie de la bourgeoisie juive éclairée, moderne, intégrée, et le destin de l'Europe jusqu'à son suicide, sous les coups du nationalisme, de l'antisémitisme, de la catastrophe de la Première Guerre mondiale et de l'effondrement de l'Empire austro-hongrois, sans oublier le rattachement de Vienne au Reich national-socialiste. Ce tableau d'un demi-siècle de l'histoire de l'Europe résume le sens d'une vie, d'un engagement d'écrivain, d'un idéal d'une République de l'intelligence par-dessus les frontières. Chemin faisant, le lecteur croise les amis de l'auteur : Schnitzler, Rilke, Rolland, Freud, Verhaeren ou Valéry.
L’oppression qui menace les peuples démocratiques sera toute nouvelle La démocratie est plutôt jeune dans notre histoire. Après ses balbutiements à Athènes il y a deux mille cinq cents ans, il faut attendre les XVIIIème et XIXème siècles pour qu’elle commence à se déployer en Occident. C’est aux États-Unis qu’elle présenta ses plus belles promesses, le terreau étant tout jeune et n’ayant pas à se défaire d’une vieille culture monarchique et aristocratique comme en Europe.
C’est ce qui amena le jeune intellectuel français Alexis de Tocqueville à s’y intéresser, lui-même en rupture avec son origine aristocrate. Après un voyage d’étude de près d’un an en Amérique, il publia en 1840 son essai De la démocratie en Amérique, qui devint aussitôt un best-seller. Voici un extrait dans lequel il imagine de quel type d’oppression le peuple peut souffrir même en démocratie.