Il y avait quelque chose de surréaliste en juin dernier à voir deux conférenciers catholiques de haut calibre se débattre comme deux diables dans l’eau bénite (je n’ai pu résister à faire ce rapprochement, s’cusez !) avec la plus récente position du Vatican sur l’aide médicale à mourir (AMM) : « L’aide médicale à mourir est une pratique d’euthanasie, c’est donc un crime, un acte meurtrier qui ne tolère aucune forme de complicité ou de collaboration active ou passive.[1] »
Les deux orateurs avaient été invités par la coopérative funéraire des Deux Rives à débattre de cette position de l’Église catholique romaine devant plus de deux cents personnes lors de la conférence Aide médicale à mourir : croyance, ritualité et accompagnement[2] tenue à l’Université Laval le 18 juin dernier dans le cadre de la série Entretien sur la mort. Occupant tous deux des fonctions importantes dans l’Église catholique de Québec, dont l’un, Cory Andrew Labrecque, est professeur de bioéthique et d’éthique théologique à la faculté de théologie et des sciences religieuses de l’Université Laval, et l’autre, Gaston Mumbere, intervenant en soins spirituels au CHU de Québec, c’est avec une bonne dose de courage qu’ils ont tenté de montrer une porte de sortie à cet interdit en forme de cul-de-sac.

Courage parce que selon la déclaration officielle du Vatican, ils se placent ouvertement en opposition avec leur propre église tant par leur discours que par leur pratique. En effet, la position du Vatican, publiée dans sa lettre sur le soin des personnes en phases critiques et terminales de la vie (14 juillet 2020) Samaritanus bonus[3], est très claire et laisse peu de place à l’interprétation :
« Il n’est pas admissible de la part de ceux et celles qui assistent spirituellement les personnes malades de faire quelque geste extérieur que ce soit qui puisse être interprété comme une approbation de l’euthanasie, comme, par exemple, rester présent au moment de sa réalisation. Une telle présence ne peut être interprétée que comme une complicité. Ce principe concerne en particulier, mais pas seulement, les aumôniers des structures de santé où l’euthanasie peut être pratiquée, qui ne doivent pas faire scandale en se montrant, d’une quelconque manière, complices de la suppression d’une vie humaine.[4] »

Ils ne sont pas seuls à vivre cet inconfort, le partageant avec ceux et celles qui exercent une fonction dans l’église comme prêtres, diacres ou laïques, partagés entre leur désir d’accompagner et leur devoir de respecter la tradition. Et davantage encore avec les personnes croyantes ayant choisi l’AMM et qui me demandent, explique Gaston Mumbere, « Dieu va-t-il m’accueillir si je passe par l’AMM ? ». Ou encore, continue-t-il, ce sont les proches qui peuvent être sources de tensions si la personne qui demande l’AMM sent que ce type de fin de vie n’est pas accepté dans son milieu. « Certains proches refusent d’être présents au moment de la fin », a-t-il précisé.
Pourquoi s’en faire avec l’Église catholique ? pensez-vous peut-être, plus personne ne l’écoute, du moins au Québec. Oui et non. Près de 54 % (4 472 560 personnes) des Québécoises et Québécois ont déclaré appartenir à l’église catholique au recensement de 2021, plus de 59 % (4 936 575) se sont déclarés chrétiens et chrétiennes, laissant un maigre 27 % (2 267 720) à ceux et celles disant ne pas avoir de religion ou avoir des perspectives laïques[5]. Cette statistique explique en partie les tensions qui peuvent surgir autour de l’AMM.
« Les croyances et l’appartenance religieuse, c’est très complexe, on ne peut pas dire LES catholiques, LES musulmans, LES juifs, tellement les pratiques sont différentes et parfois contradictoires d’une personne à l’autre dans la même religion », a d’abord affirmé Cory Andrew Labrecque, qui travaille avec les membres et les autorités de ces trois confessions. « L’Église est très noir et blanc sur son enseignement depuis des décennies, sinon des siècles. Sur la question de l’AMM, elle utilise toujours le mot euthanasie, mais sur le terrain, c’est plus compliqué », a d’ailleurs admis le bioéthicien, actif sur plusieurs comités d’organismes nationaux et internationaux jusqu’au Vatican.
AMM : une astuce linguistique
À propos d’euthanasie, saviez-vous que le terme « aide médicale à mourir » a été délibérément adopté par le gouvernement du Québec pour amener cette intervention médicale dans le champ des compétences provinciales et ne pas la laisser exclusivement dans le champ du gouvernement fédéral avec son code criminel ? C’est ce que nous ont appris l’anthropologue Arianne Plaisance et le conseiller en éthique au CHU de Québec Hugues Vaillancourt lors d’une autre conférence sur l’AMM organisée par la coopérative funéraire des Deux Rives le 7 mai 2025[6]. En traitant l’AMM comme un soin et non comme une assistance au suicide ou une euthanasie, le Québec a utilisé cette astuce sans laquelle il n’aurait pas pu agir dans ce domaine. Le Vatican, quant à lui, n’est pas dupe et continue d’associer l’AMM à une euthanasie pure et simple.
Principe de coopération
Quand la lettre du Vatican dit de ne pas faire scandale en se montrant, d’une quelconque manière, complices, il s’agit au fond, a expliqué le professeur Labrecque, du fameux principe de coopération, principe, selon lui, qui est loin d’être clair et limpide au moment de l’AMM. Complices d’une quelconque manière, ce n’est pas si simple, selon lui : « Si c’est mon père, ma mère, mon fils qui a demandé l’AMM et je ne suis pas d’accord avec cette approche, que je lui tienne la main ou pas, que je sois dans le corridor ou même dans le stationnement et que la fenêtre est ouverte, suis-je complice ? À quel point est-ce que je suis impliqué ? ». C’est cette grande question que les croyants nous posent, a-t-il expliqué, démontrant, pour un professeur de théologie, une très grande délicatesse et beaucoup plus de nuance que de dogmatisme.
Comment accompagner ?
Si les deux orateurs s’entendaient pour reconnaître que « sur le terrain, c’est plus compliqué », ils reconnaissent tous deux la même porte de sortie. Certains prêtres ou laïques-accompagnateurs spirituels refusent de « coopérer » à la tenue d’une AMM par objection de conscience alors que plusieurs autres, tout aussi croyants, participent pleinement. La clé permettant de concilier cette dernière attitude avec la directive catholique est, selon les deux conférenciers, l’accompagnement. « La question n’est pas “Accompagner ou ne pas accompagner”, mais comment accompagner ? », ont-ils soutenu.
Les trois traditions, chrétienne, juive et musulmane, a expliqué Cory Andrew Labrecque, ont une devise bien connue depuis des siècles : « Le véritable devoir du soignant consiste à guérir si possible, mais de toujours prendre soin ». Donc, s’il n’est pas toujours possible de guérir, il est toujours possible de soigner, a-t-il affirmé. La question est comment ?
C’est d’ailleurs avec un certain contentement que le bioéthicien a cité à nouveau le texte Samaritanus bonus, pourtant si radical dans l’interdiction, mais qui ouvre tout de même une porte :
« La capacité de ceux et celles qui assistent une personne souffrante ou souffrant d’une maladie chronique ou en phase terminale de la vie doit être de “savoir demeurer”, de veiller avec ceux qui souffrent de l’angoisse de mourir, de “consoler”, c’est-à-dire d’être-avec dans la solitude, d’être une présence partagée qui ouvre à l’espérance.[7] »
C’est ce que le professeur a appelé le « ministère de la présence » en s’inspirant du théologien néerlandais Henri Nouwen :
« Lorsque nous nous demandons quelle personne compte le plus dans nos vies, nous constatons souvent que ce sont ceux et celles qui, au lieu de donner des conseils, des solutions ou des remèdes, ont choisi plutôt de partager notre douleur et de toucher nos blessures avec une main tendre. L’ami qui peut être silencieux avec nous dans un moment de désespoir ou de confusion, qui peut rester avec nous dans une heure de chagrin et de deuil, qui peut tolérer de ne pas savoir, de ne pas guérir et d’affronter avec nous la réalité de notre impuissance de notre blessabilité, c’est un ami qui se fait du souci.[8] »
Ce n’est pas une question de croyance, mais d’humanité, peut-on retenir de cette conférence. Ce sont tous les soignants et soignantes, tous les proches aidants, tous et toutes les proches qui peuvent accompagner la personne qui a demandé l’AMM, peu importe les croyances et les valeurs.
« Le seul vrai droit, a d’ailleurs placé le bioéthicien dès le début de la conférence en s’appuyant sur la fameuse lettre Samaritanus bonus, est celui de la personne malade à être accompagnée et soignée avec humanité[9] ». En toute honnêteté, je dois préciser que cette phrase est immédiatement suivie par celle-ci : « Ce n’est qu’ainsi que sa dignité pourra être préservée jusqu’à sa mort naturelle ». Bien que la notion de mort selon la « nature » et de suivre et laisser agir la « nature » soit l’un des arguments massue de l’Église catholique, par exemple en contraception, cette question n’a malheureusement pas été abordée lors de cette conférence.
[1]- Samaritanus bonus
[2]- L’enregistrement vidéo de la conférence se trouve à https://www.youtube.com/watch?v=cvgACWTQr-g . Il est possible de suivre en même temps la transcription faite par l’intelligence artificielle en cliquant sur le mot « plus » sous le nombre de visionnements, puis sur le bouton « Afficher la transcription ».
[3]- Le texte de la lettre du Dicastère de la doctrine de la foi, 14 juillet 2020, se trouve à : https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_20200714_samaritanus-bonus_fr.html
[4]- Samaritanus bonus, VII
[5]- https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/as-sa/fogs-spg/page.cfm?lang=F&topic=10&dguid=2021A000224
[6]- L’enregistrement vidéo de la conférence se trouve à https://www.youtube.com/watch?v=_bnRnpaB010. Il est possible de suivre en même temps la transcription faite par l’intelligence artificielle en cliquant sur le mot « plus » sous le nombre de visionnements, puis sur le bouton « Afficher la transcription ».
[7]- Samaritanus bonus, VI
[8]- Henri J. M. Nouwen, Out of Solitude, Ave Maria Press 2004, p. 38
[9]- Samaritanus bonus, V9

Cet article est passionnant. l'AMM, une affaire humaine, respectueuse d'accompagner la personne en fin de vie selon ses voeux avant tout. Voilà ce que je retiens de cet article. Si le contexte médical le réclame, je serai un patient qui fera appel de l'AMM.